Monsieur Caboussat, qu’est-ce qu’une disruption?
Il s’agit d’une rupture avec les modèles établis. Prenons l’exemple du besoin d’écouter de la musique. Les plateformes de streaming telles que Spotify y répondent d’une façon tout à fait différente et supplantent les offres traditionnelles, car les gens adaptent leurs habitudes. Les nouveaux prestataires modifient la logique qui a prévalu durant de nombreuses années et bouleversent des secteurs industriels tout entiers. Ainsi, les magasins de musique ne vendent plus que quelques supports physiques. Une disruption est généralement déclenchée par une innovation technologique, associée à un nouveau modèle commercial. Dans notre exemple, la location remplace l’achat.
Une disruption nuit-elle forcément aux importants acteurs du marché?
Non, pas forcément. Certaines entreprises adaptent leur modèle commercial aux nouvelles circonstances. Netflix, par exemple, a commencé par envoyer des films sur DVD, puis a assez vite misé sur les activités de streaming. Toutefois, il arrive souvent que des acteurs établis ne survivent pas à une évolution disruptive. Parmi les 500 entreprises les plus florissantes en 2005, une bonne moitié n’est plus dans la course aujourd’hui. Elles sont dominées par les plateformes numériques proposées par des entreprises américaines et chinoises.
La clientèle est-elle gagnante?
Ce sont bel et bien les clientes et clients qui sont le moteur de cette évolution! Ils profitent en effet de prix réduits et de plus de confort. Le nouveau système est plus simple et plus pratique. Mais il y a aussi un revers à la médaille: à cause de Spotify et consorts, les musiciens et musiciennes vendent beaucoup moins de supports physiques. Les prix des billets de concert ont dès lors augmenté. Prenons un autre exemple: le shopping en ligne évince le commerce intermédiaire stationnaire, et de nombreux magasins s’éloignent des villes. Si ce phénomène a pour effet de désencombrer les centres-villes, il comporte de lourdes conséquences économiques et sociales.
Les évolutions disruptives se produisent à l’échelle mondiale. Quelles sont les répercussions sur les prestataires locaux?
La numérisation offre également des opportunités. D’une part, elle facilite l’accès au marché pour de nombreux prestataires. D’autre part, un mouvement inverse permet au commerce régional de regagner en importance par rapport à la mondialisation.
Que doivent faire les sociétés établies pour ne pas sombrer?
Elles doivent se remettre en question constamment et identifier la direction du marché. S’appuyer sur les bases existantes ne suffit pas. Idéalement, elles doivent poursuivre et développer les activités rentables aussi longtemps que possible. Parallèlement à cela, elles doivent mettre en place un nouveau modèle commercial. Elles doivent apprendre à surfer sur deux, voire trois vagues. Kodak, par exemple, était leader en matière de photographie analogique et a vu venir l’ère du numérique. Bien qu’il ait même développé les premiers appareils photo numériques, le géant est passé à côté de la vague. En effet, il n’a pas voulu cannibaliser sa vache à lait, à savoir la vente de films photographiques analogiques.
Que signifie «surfer sur plusieurs vagues» pour le personnel?
Les collaboratrices et collaborateurs doivent être prêts à évoluer avec leur organisation. D’un autre côté, le management doit avoir la volonté d’inclure son personnel dans cette évolution. Je recommande d’adopter des processus stratégiques participatifs afin qu’une rupture devienne un voyage pour l’ensemble de l’entreprise et que les changements soient compris et soutenus par tous.
Pierre-Yves Caboussat est fondateur et associé d’INNOArchitects, une agence spécialisée dans la stratégie et l’innovation et établie à Wabern.