Aux Murten Classics, Jacqueline Keller a su créer une atmosphère dans laquelle les plus grands virtuoses de la musique classique aiment se produire.

«J’investis surtout de la passion»

Grâce à Jacqueline Keller, le festival Murten Classics est devenu un événement connu au-delà de sa région.
ValOr-6.12.2023|10min
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Un large pansement barre l’auriculaire de Jacqueline Keller, qui nous accueille dans la cour du château de Morat en ce dimanche ensoleillé d’août. Le matin même, elle a dû installer des lutrins pour un concert, et s’est déchiré le tendon. «Rien de bien dramatique», pour la directrice des Murten Classics, fière de pouvoir présenter, le soir même, une jeune soprano déjà réputée dans le monde entier, Erika Baikoff, accompagnée de Daniel Heide, un pianiste souvent invité aux quatre coins de la planète. Comment expliquer que de telles stars se produisent dans la petite bourgade de Morat, ce soir-là dans l’église française, devant une centaine de personnes?

«Certainement pas le cachet, plaisante Jacqueline Keller. Les rémunérations que nous offrons sont peu alléchantes. Mais les musiciennes et les musiciens apprécient l’atmosphère familiale et les petites attentions.» Cela commence par l’accueil des artistes, assuré par des bénévoles à la gare, et se poursuit après les concerts, lorsque Daniel Lehmann, président du festival, démarre son bateau et invite les musiciennes et musiciens à un bain de minuit dans le lac de Morat. Les artistes plébiscitent aussi le concept innovant des Murten Classics, qui tisse un fil rouge tout au long du festival; cette année, le programme s’articule autour des «Histoires».


 

Engagement inlassable

La préparation du festival, qui dure trois semaines, est un travail de titan, qui requiert de solides compétences organisationnelles, mais aussi les bons contacts et un attachement profond à la musique. Autant de prérequis dont Jacqueline Keller disposait déjà lorsqu’elle a repris la direction du festival, en 2004. Cette ancienne guide touristique capable de supporter le stress, qui avait fait des études de chanteuse lyrique et avait touché au management culturel, cochait en effet toutes les cases pour le poste. Pendant deux décennies, elle a imprimé sa marque au festival et jeté les bases de ce qu’il est aujourd’hui. «Avec l’équipe de direction, nous avons investi dans la qualité du programme musical, contacté des orchestres et des solistes toujours plus prestigieux pour enthousiasmer notre public.»

Précision et souci du détail sont deux ingrédients indispensables pour assurer la réussite d’un tel événement, et son bon déroulement organisationnel, en coulisses. Jacqueline Keller a par exemple entrepris elle-même la tournée des supports d’affichage, partout en Suisse, pour garantir que ses affiches publicitaires soient placées au mieux. Elle compte aussi elle-même les gobelets pour les musiciennes et musiciens, sur la scène, et ne se couche jamais avant d’avoir répondu à tous ses e mails. Son engagement inépuisable prend, selon elle, la forme d’une «prestation de services à 150%», qui inclut également le développement permanent de son réseau: «J’ai dans mon répertoire d’adresses les coordonnées de CEO de banques et de compagnies d’assurances, mais aussi de conseillères fédérales, de représentants du gouvernement, de chefs d’orchestre, de violonistes, d’ecclésiastiques et de concierges.»

Vivre de rencontres

Avec le directeur artistique, Christoph-Mathias Mueller, Jacqueline Keller est la seule à être rémunérée pour l’organisation du festival. La directrice coordonne un pool de plus de 200 bénévoles qui prennent en charge toutes les tâches indispensables à la tenue des Murten Classics, de la logistique à la restauration en passant par la vente des programmes. Le festival comporte une autre particularité: «La population de Morat accueille chez elle les musiciennes et les musiciens, ce qui nous permet d’économiser près de 14’000 francs en frais d’hébergement.» Il paraît donc logique, pour Jacqueline Keller, de passer voir celles et ceux qui ont ouvert leurs portes et d’échanger autour d’un café, l’hiver. Ce volet de son activité, elle l’assume volontiers: «Les relations humaines me font vivre, affirme-t-elle. Dans tout ce que je fais, la passion constitue mon plus gros investissement.»


«Il est impossible de chiffrer le sentiment de bonheur suscité par un concert.»
Jacqueline Keller 

Mais pour mettre sur pied un festival attirant près de 8’000 personnes, la passion ne suffit pas: un soutien financier des acteurs privés est aussi indispensable, car la billetterie ne couvre qu’une petite partie du budget. Et au fil des années, il devient de plus en plus difficile de trouver des sponsors. «Si les mécènes de l’ancienne école répondaient affirmativement à ma demande, engageant des sommes considérables avec un processus décisionnel réduit, la jeune génération actuellement responsable du sponsoring me demande parfois de lui communiquer la valeur monétaire du concert. Or, il est impossible de chiffrer les émotions et le sentiment de bonheur suscités par un concert!» La directrice apprécie d’autant plus l’engagement de Valiant pour le concours de solistes.

Après vingt années bien remplies, Jacqueline Keller, âgée de 61 ans, va peu à peu déléguer ses responsabilités et se retirera à l’issue du festival 2024. Et ensuite? Elle prévoit, entre autres, de remonter sur scène comme chanteuse et répète actuellement un récital de chansons d’Hildegard Knef. Toutes celles et ceux qu’elle a ravis par son engagement pour les Murten Classics en conviendront: elle mérite une salve d’applaudissements!

 


Le forum Valiant, tremplin pour une carrière musicale

Depuis 23 ans, Valiant et le festival Murten Classics encouragent ensemble les jeunes musiciennes et musiciens dans le cadre du forum Valiant. Cette année, le concours de solistes était destiné aux altistes. C’est Sarah Strohm, âgée de 18 ans, qui l’a remporté. Elle se produira en tant que soliste lors d’un concert avec orchestre au festival Murten Classics 2024.

«Un jeune musicien n’a pas souvent l’occasion de jouer devant le public en compagnie d’un orchestre, déclarait Florian Baccuet, lauréat de l’édition 2022. Remporter le concours est donc une chance unique. » Le trompettiste âgé de 22 ans s’est ainsi produit aux Murten Classics 2023 en tant que soliste lors du concert de la Beethoven Philharmonie. Par ailleurs, il a performé une seconde fois avec son propre ensemble de cuivres.

Directement après sa victoire, Florian Baccuet a entamé un master à Berlin. «Cette victoire m’a permis de gagner en assurance», souligne-t-il. Elle a récompensé tous les investissements consentis par lui-même et ses parents depuis ses débuts. Quant aux 3’000 francs du prix, il les a immédiatement réinvestis dans une nouvelle trompette.

Photos: Stöh Grünig

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