Alors qu’un avion-ambulance arrive en roulant dans le hangar du centre Rega à l’aéroport de Zurich, Heinz Leibundgut, chef pilote d’hélicoptère, échange quelques mots avec les mécaniciens qui vissent sur des moyeux ou astiquent des revêtements déjà brillants. Deux hélicoptères rouges sont parqués dans le hangar, dépourvus de rotors. «Ce n’est pas comme pour les voitures. Dans l’aviation, on ne peut pas attendre que quelque chose casse pour faire l’entretien», explique cet homme de 63 ans, originaire de l’Oberland bernois. Pour des raisons de sécurité, des pièces sont d’office remplacées après un certain nombre d’heures de vol. «Pour une heure de vol, il faut compter environ trois à cinq heures de maintenance.»
Des travaux d’entretien réguliers sont essentiels pour la sécurité en vol. Tout l’hélicoptère, y compris les moteurs, les rotors et l’électronique, est contrôlé à intervalles fixes.
Communication structurée dès le petit déjeuner
Les missions du chef pilote comprennent aussi le recrutement et la formation des pilotes d’hélicoptère. «L’expérience joue un rôle non négligeable, pour les vols de nuit et en montagne aussi», explique-t-il. «Mais le plus important, c’est la personnalité: à la Rega, l’esprit d’équipe est une compétence décisive.» En effet, dans les treize bases d’intervention de la Rega partout en Suisse, chaque équipage de trois personnes, avec un ou une médecin, un ambulancier ou une ambulancière et le ou la pilote, doit cohabiter pendant 48 heures dans un espace confiné. «Quelquefois, il ne se passe rien pendant des heures, puis les interventions s’enchaînent à un rythme effréné.»
Le sentiment de cohésion et la confiance sont deux qualités essentielles pour que tout se déroule bien et que les risques soient réduits au minimum. «Cela commence par le briefing lors du petit déjeuner: un entraînement est-il prévu aujourd’hui, ou des tâches spéciales sur la base? Quel événement inattendu peut survenir? Quelles sont les conditions météo? Tous les membres sont-ils ‹fit to fly›? Ou est-ce que quelqu’un a pris froid et aurait donc du mal à assumer une intervention à 4500 mètres d’altitude?» Ce briefing du matin ressemble à une check-list.
Le travail d’équipe et une planification précise sont essentiels pour assurer un soin optimal des patientes et des patients.
Des interventions sans faille grâce à des processus standardisés
Peu importe qu’il faille hélitreuiller dans le noir une randonneuse tombée dans une crevasse ou transporter un retraité victime d’une crise cardiaque de la Petite Scheidegg vers l’hôpital d’Interlaken à travers une épaisse couche de nuages: des procédures standardisées sont essentielles à la sécurité des opérations et à la parfaite coopération de l’équipage de trois personnes. Ces procédures sont consignées dans les «Standard Operating Procedures» (SOP) de la Rega. «Les processus, les moyens engagés et les termes utilisés sont identiques partout», explique Heinz Leibundgut. «Ainsi, un pilote de l’Engadine peut voler spontanément avec un ambulancier de Locarno et une médecin urgentiste d’Erstfeld.»
Le personnel médical est spécialement formé pour les interventions en hélicoptère. «Il s’agit en l’occurrence de choses simples comme: où et quand allumer l’éclairage de la cabine pendant un vol de nuit sans déranger le pilote? Quel est le signe de la main à faire si la radio tombe en panne?» Mais aussi des choses moins banales: les équipages s’entraînent par exemple à utiliser le treuil de sauvetage avec le câble de 90 mètres, pour hélitreuiller en urgence le médecin jusqu’à un patient. Et ces opérations ont parfois lieu la nuit, avec des projecteurs de recherche.
Chacun dispose d’un droit de veto
Les SOP permettent-elles vraiment d'identifier tous les risques, et surtout de les exclure? Les consignes sont essentielles, note le chef pilote. «Mais il n'est pas possible de décrire toutes les situations dans un manuel.» Comme les membres d'équipage se connaissent très bien et savent comment les autres travaillent, ils peuvent collaborer efficacement et réagir rapidement face aux imprévus. Heinz Leibundgut trouve qu'il ne faut pas trop «étouffer» l'équipage. Au lieu de se demander si on est autorisé à faire quelque chose, il vaut mieux se demander si on sait le faire. Mais les exceptions ne sont judicieuses que si la situation l’exige et si tout l’équipage estime que c’est ainsi qu’il faut agir après avoir bien pesé toutes les options possibles.
Et si cela devient vraiment compliqué? «Dans ce cas, tous sont totalement concentrés sur leur mission. Si l’intuition de l’un des membres lui dit que rien ne va plus, alors il peut opposer son veto. Il peut s’agir du pilote, qui se rend compte que les performances de l’hélicoptère ne sont plus assurées, parce que le fœhn en baisse minimise la portance de l’appareil.» Le médecin ou l’ambulancier aussi peut fixer des limites. «Par principe, il est toujours plus difficile de dire non que oui», témoigne ce père de quatre enfants. «Le but est bien sûr d’aider les gens. Mais la priorité est toujours la sécurité de vol. Nos familles veulent que nous rentrions sains et saufs à la maison.»
Des missions efficaces grâce à une répartition claire des rôles
Pour garder une bonne vue d’ensemble dans des situations critiques, il faut éviter les malentendus. Lors d’une mission, rien n’est donc laissé au hasard pour la communication. Formuler clairement des ordres, donner des renseignements et des feed-backs, tout cela est enseigné dans le cadre de l’«Aeromedical Crew Resource Management». «Cette démarche vient de l’aviation de ligne, où des accidents se sont produits parce que des subordonnés n’ont pas osé interpeller leurs supérieurs en présence d’erreurs», explique Heinz Leibundgut. «De toute façon, il n’est pas question de hiérarchie dans nos missions. La répartition des rôles est claire: en tant que pilote d’hélicoptère, je suis responsable de l’appareil. Dès que nous avons atterri, j’aide la médecin et l’ambulancier à apporter les soins médicaux et j’administre aussi des médicaments à l’occasion.» En même temps, il garde un œil sur l’évolution des conditions météorologiques, les dangers objectifs et fait office d’«horloge parlante». L’objectif est de repartir dans les 20 minutes. «Dès que j’ai le diagnostic de la médecin, je contacte la centrale de la Rega, qui est un peu le quatrième membre de notre équipage. La cheffe d’intervention se charge de la coordination et d’annoncer l’arrivée des patients à l’hôpital de destination. J’aide à amener la personne blessée dans la cabine, puis je reprends ma fonction de commandant, en lançant les préparatifs de vol.»
Plus de 14'000 missions sont coordonnées chaque année par la centrale à Zurich. Grâce aux treize bases, les hélicoptères de la Rega peuvent atteindre des endroits reculés en quelques minutes de vol.
Et si une opération de sauvetage doit être interrompue? «Cela nous touche», avoue Heinz Leibundgut, «surtout lorsque des enfants, des secouristes, voire des personnes que l’on connaît personnellement sont concernés.» Par principe, le problème n’est pas résolu pour la Rega si le sauvetage aérien n’est pas possible. En cas d’urgence, les sauveteurs de montagne du Club Alpin Suisse CAS doivent intervenir à pied. Ils sont aussi convoqués et coordonnés par la centrale de la Rega.
La météo ne joue pas toujours le jeu
Le brouillard épais, la pluie ou les chutes de neige peuvent rendre impossible l’intervention d’un hélicoptère de la Rega. En Suisse, environ 600 personnes en détresse ne peuvent pas être prises en charge par voie aérienne à cause du mauvais temps. «Notre devise ne change pas: sauver, partout et par tous les temps», explique Heinz Leibundgut. Afin d’atteindre cet objectif en prenant le moins de risques possible, la Rega a, ces dernières années, développé des solutions innovantes avec ses partenaires et a beaucoup investi: ainsi, tous les pilotes d’hélicoptère sont formés aux procédures de vol aux instruments, qui permettent de voler même dans des conditions de visibilité exécrables ou dans les nuages. Par ailleurs, 60 nouvelles stations météo et webcams avec une excellente vision nocturne ont été installées en Suisse à des endroits importants sur le plan stratégique, comme des points de passage alpins ou près des hôpitaux. «Ainsi le pilote sait à quoi s’attendre lorsqu’il sortira des nuages et qu’il devra voler à vue sur les dernières centaines de mètres.» Sans oublier que la flotte de pointe sera complétée en 2023 par trois hélicoptères résistant à tous les temps et équipés de lames de rotor chauffées, qui ne givrent pas. Un nouveau drone de la Rega survole des grandes surfaces. Il est utilisé à titre complémentaire dans les missions de recherche de personnes disparues, blessées ou malades.
Les conditions ne sont pas toujours celles d’un livre de contes: en Suisse, chaque année, environ 600 patientes et patients ne peuvent pas être secourus depuis les airs à cause du mauvais temps.
Heinz Leibundgut voit beaucoup de potentiel dans le développement du réseau suisse d’itinéraires de vol aux instruments. «En tant que pilote, je peux par exemple me rendre de la base de la Rega à l’hôpital le plus proche en cas de mauvaise visibilité, en suivant une route de vol mémorisée dans l’ordinateur de bord, comme sur une autoroute. Un gain de sécurité décisif», explique Heinz Leibundgut, «qui nous aidera à annuler ou interrompre moins de vols à l’avenir. De cette façon, nous pourrons aider encore plus de personnes en détresse. Et c’est ce qui nous motive jour après jour.»
Heinz Leibundgut travaille à la Rega depuis 1999. Depuis 2011, il est chef pilote d’hélicoptère, chef du département «Procédures et formation hélicoptères» et membre de la direction. Cet homme de 63 ans est littéralement passionné par sa profession: «La diversité du vol associée à la volonté novatrice de la Rega de faire bouger les choses: tout cela est unique en son genre. Mais par-dessus tout, il est gratifiant de voir comment on peut aider et sauver des vies grâce à un travail d’équipe parfaitement rodé.» Comme tous les autres, ce pilote chevronné passe un contrôle d’aptitude de vol tous les six mois dans le simulateur de vol de la Rega. Il a débuté sa carrière comme «laveur d’hélicoptères» à l’aérodrome militaire d’Interlaken, chez Oberländer Helikopter AG. Puis ont suivi un apprentissage de polymécanicien, la formation de pilote professionnel aux États-Unis et de mécanicien et d’instructeur de vol sur hélicoptère. Du Groenland au Pérou en passant par des missions en mer du Nord, il a collecté de nombreuses heures d’expérience dans un cockpit.